Ether & relativité

La mécanique de Newton repose sur l’hypothèse du temps absolu. Cette mécanique, qui est invariante sous les transformations de Galilée, conduit à la loi de composition des vitesses (pour les vecteurs) :

vitesse absolue = vitesse relative + vitesse d’entrainement (*)

Si la lumière obéissait aussi à cette loi, elle ne pourrait pas avoir la même vitesse dans tous les référentiels inertiels. Au XIXe siècle, les physiciens supposaient l’existence d’un milieu, l’éther (luminifère), qui servait de support matériel à la propagation de la lumière, comme l’air peut servir de support à la propagation d’une onde sonore. Cet éther jouait le rôle de référentiel privilégié, par rapport auquel la lumière se propageait à la vitesse c [Ho].

La Terre n’ayant pas de raison particulière d’être immobile par rapport à l’éther, de nombreuses expériences d’optique tentèrent de détecter un « vent d’éther », effet du au mouvement relatif de la Terre par rapport à l’éther [D1]. Toutes ces expériences réalisées donnèrent un résultat négatif : aucun vent d’éther ne fut jamais détecté.

En 1905, Einstein déclare l’éther superflu, et fait les deux postulats suivants :

  • P1 (principe de relativité) : les lois de la physique s’écrivent de la même façon dans tous les référentiels inertiels. On dit aujourd’hui que les équations doivent être « covariantes ».
  • P2 : la vitesse de la lumière est indépendante de celle de sa source.

Le postulat P2 est naturel d’un point de vue ondulatoire : il énonce que, dans un référentiel donné, la vitesse de la lumière est constante. En combinant P1 et P2, on a le corollaire :

  • P2′ : la vitesse de la lumière est la même dans tous les référentiels inertiels.

Dans l’enseignement, on utilise souvent P1 et P2′ comme postulats de base. Il a été démontré depuis – par des arguments de théorie des groupes – que le deuxième postulat est totalement superflu [LL1, LL2]. C’est très satisfaisant, car P2 (ou P2′) faisait jouer un rôle privilégié à l’interaction électromagnétique, ce qui n’a pas lieu d’être si le principe de relativité possède un caractère universel.

Remarque 1 : la compatibilité de P1 et P2′ (ou P2) n’était a priori pas évidente, car P2′ est en conflit avec la loi de composition des vitesses (*) . Dans son article fondateur de 1905, Einstein montre que les postulats P1 et P2′ peuvent être rendus compatibles si on rejette aussi l’hypothèse du temps absolu de Newton. Il est alors nécessaire de remplacer les transformations de Galilée par celles de Lorentz. La loi de composition des vitesses (*) cesse d’être vérifiée, et est remplacée par une loi de composition relativiste (cf. e.g. [LL3]).

Remarque 2 : la présentation moderne de la théorie de la relativité restreinte repose fréquemment sur le concept d’espace-temps (cf. e.g. [LL3]). Lorsque Einstein propose sa théorie en 1905, ce concept d’espace-temps – et sa géométrie – n’existe pas encore ; il ne sera introduit qu’en 1907 par Herman Minkowski, qui fut le professeur de mathématiques d’Einstein au « Polytechnicum » (ETH) de Zurich. [M].

 

Orientation bibliographique :

  • [Ho] Banesh Hoffman ; Histoire d’une grande idée : la relativité, Éditions Pour La Science (1985), diffusion Belin.
  • [D1] On commencera par regarder l’intéressante conférence d’Olivier Darrigol sur l’histoire de l’optique et de l’électrodynamique des corps en mouvements, de Maxwell (1873) à Einstein (1905). Olivier Darrigol (CNRS) discute notamment quelques expériences d’optiques fondamentales réalisées à la fin du XIXe siècle, ainsi que les apports théoriques respectifs de Lorentz (temps local, contraction des longueurs) et de Poincaré (principe de relativité, transformations de Lorentz exactes). Pour prolonger cette conférence, on pourra lire [Ba, D2, D3, D4, JS].
  • [Ba] Françoise Balibar ; Einstein et Poincaré, une affaire de principes, Images de la Physique, CNRS (2005), 4-9 ; pdf.
  • [D2] Olivier Darrigol ; Introduction, dans : Albert Einstein – Œuvres choisies, tome 2 : Relativités (I), Seuil/CNRS (1993), ISBN 2-02-010179-3, pp. 9-25.
  • [D3] Olivier Darrigol ; The genesis of the theory of relativity, dans : Einstein 1905-2005, séminaire Poincaré (2005), 1-31 ; pdf.
  • [D4] Olivier Darrigol ; Poincaré & la lumière, dans : Poincaré 1912-2012, séminaire Poincaré (2012), 1-43 ; pdf.
  • [JS] Michel Janssen & John Stachel ; The Optics and Electrodynamics of Moving Bodies, Max-Planck-Institut (2004), pdf. John Stachel a notamment travaillé comme éditeur des œuvres complètes d’Einstein pour Princeton University Press.
  • [LL1] Jean-Marc Lévy-Leblond ; De la relativité à la chronogéométrie.
  • [LL2] Jean-Marc Lévy-Leblond ; Une dérivation de plus des transformations de Lorentz
  • [LL3] Jean-Marc Lévy-Leblond ; Les relativités, Cahiers de Fontenay 8 (1977), pdf.
  • [M] Hermann Minkowski, Space and Time: Minkowski’s papers on relativity, Minkowski Institute Press (2012), web.
  • Orientation bibliographique plus complète. L’expérience de Hafele & Keating (1971), où trois horloges atomiques sont synchronisées en laboratoire, puis deux des trois sont déplacées par voie aérienne, pour enfin être comparées au laboratoire, est discutée dans le chapitre 3 de l’excellent livre de Clifford Will : Les enfants d’Einstein.
  • C. W. Chou, D. B. Hume, T. Rosenband, D. J. Wineland ; Optical Clocks and Relativity, Science 329 (5999) (24 September 2010), 1630-1633 ; pdf. David Wineland a reçu le prix Nobel de physique 2012.
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