Bernard d’Espagnat

Bernard d'Espagnat en 1966 (capture d'écran de l'émission "Un certain regard" produite et diffusée par l'ORTF le 20 novembre 1966. Source INA - cliquez sur l'image)

Le physicien théoricien Bernard d’Espagnat est décédé à Paris le 01 août 2015 à l’age de 93 ans.

Ancien élève de l’École Polytechnique (1942), Bernard d’Espagnat était professeur émérite à l’Université de Paris-Sud (Orsay). Ce spécialiste de la mécanique quantique en a exploré les implications philosophiques, ce qui lui valu d’être élu membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques en 1996 dans la section de Philosophie.

Bernard d’Espagnat avait reçu le prix Templeton 2009.

 

 

En 1935, Einstein, Podolsky et Rosen publient un article 1 qui critique la théorie quantique au moyen d’une expérience de pensée astucieuse qui introduit la notion d’état intriqué et conduit au « paradoxe EPR ». Schrödinger remarque aussitôt le caractère intrinsèquement non-classique d’un état intriqué ; il écrit notamment 2 :

« I would not call that one, but rather the characteristic trait of quantum mechanics, the one that enforces its entire departure from classical lines of thought. »,

Un peu plus loin, il résume le trait caractéristique de l’intrication en une courte phrase :

« The best possible knowledge of a whole does not necessarily include the best possible knowledge of its parts. »

Ceci restera pour plusieurs décennies une simple curiosité théorique, sans support expérimental.

En 1964, Bernard d’Espagnat met le doigt sur le caractère inévitable de la « non sépérabilité » de certains états prédits par la mécanique quantique. L’un de ses voisins de bureau au CERN n’est autre que le physicien théoricien irlandais John Bell, qui travaille également — de façon indépendante — sur la question. John Bell établit ses fameuses inégalités 3, qui permettent d’envisager un test expérimental pour trancher la question : si la Nature est séparable, alors la mécanique quantique doit être fausse dans certaines de ses prédictions. A l’époque, ces travaux théoriques sont reçus sans grand enthousiasme par la majorité des physiciens, qui sont très occupés ailleurs avec la tentative de construction d’une théorie cohérente des interactions fondamentales.

En 1970, la Société Italienne de Physique demande à Bernard d’Espagnat d’organiser une école à Varenne (Italie) sur les aspects conceptuels de la mécanique quantique 4, où ces travaux sont discutés en profondeur et des expériences planifiées. Malheureusement, les résultats de ces premières expériences ne seront pas concluants, en raison de difficultés expérimentales importantes 5.

En 1976, Bernard d’Espagnat et John Bell organisent une nouvelle conférence « Ettore Majorana » à Erice (Sicile) intitulée : « Thinkshops on Physics: Experimental Quantum Mechanics ». Le physicien français Alain Aspect, qui y participe, va se laisser convaincre de tenter une nouvelle expérience pour tester la non-séparabilité quantique 6.

Après quelques difficultés financières pour monter l’expérience, celle-ci démarre enfin en 1980 à l’Institut d’Optique d’Orsay, avec la collaboration des physiciens Philippe Grangier, Gérard Roger et Jean Dalibard. En 1982, le résultat est sans ambiguïté : les inégalités de Bell sont violées conformément aux prédictions de la mécanique quantique, la Nature est non-séparable 7 8 9.

 

Orientation bibliographique

  • Bernard d’Espagnat ; Théorie quantique et réalité, Pour la Science 27 (janvier 1980), pdf.
  • Olival Freire Jr. ; Philosophy enters the optics laboratory: Bell’s theorem and its first experimental tests (1965–1982), Studies in History and Philosophy of Modern Physics 37 (2006), 577–616, pdf.
  • R.A. Bertlmann et A. Zeilinger (éditeurs) ; Quantum (Un)speakables – From Bell to Quantum Information, Springer (2002), ISBN 978-3-540-42756-8, présentation de l’éditeur.
  • Olival Freire Junior ; The Quantum Dissidents – Rebuilding the Foundations of Quantum Mechanics (1950-1990), Springer (2015), ISBN 978-3-662-44661-4, présentation de l’éditeur.
  • Nicolas Witkowski ; Bernard d’Espagnat, le physicien du réel voilé, La Recherche 298 (mai 1997), 24, web.
  • Physique quantique (cf. développements récents) : www.laphyth.org

Audiovisuel

  • Bernard d’Espagnat ; Physique quantique et réalité, la réalité c’est quoi ?, Université Denis Diderot (Paris 7 – 2013), vidéo.
  • Bernard d’Espagnat ; Canal Académie, vidéos.
  • Collège de Physique et de Philosophie : web.
  • Bernard d’Espagnat et Étienne Klein ; Conversation à propos du livre « A la recherche du réel « , Dunod (2015), vidéo.
  • Alain Aspect ; Les tests et les effets de la physique quantique, Université de Tous Les Savoirs (2000), vidéo.

Notes

  1. Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen ; Can Quantum-Mechanical Description of Physical Reality Be Considered Complete?, Physical Review 47 (1935), 777-780, pdf.
  2. Erwin Schrödinger ; Discussion of Probability Relations between Separated Systems, Proceedings of the Cambridge Philosophical Society 31 (1935), 555–562, pdf.
  3. John S. Bell ; On the Einstein Podolsky Rosen Paradox, Physics 1 (3) (1964), 195-200, pdf.
  4. Bernard d’Espagnat (dir) ; Foundations of Quantum Mechanics, Proceedings of the International School of Physics « Enrico Fermi », Varenna, cours 49, Academic Press (1971).
  5. Olival Freire Jr. ; Philosophy enters the optics laboratory: Bell’s theorem and its first experimental tests (1965–1982), Studies in History and Philosophy of Modern Physics 37 (2006), 577–616, pdf.
  6. Alain Aspect ; Proposed experiment to test the nonseparability of quantum mechanics, Physical Review D 14 (1976), 1944.
  7. Alain Aspect, Philippe Grangier, and Gérard Roger ; Experimental Realization of Einstein-Podolsky-Rosen-Bohm Gedankeneperiment: A New Violation of Bell’s Inequalities, Physical Review Letters 49 (1982), 91.
  8. Alain Aspect, Jean Dalibard, and Gérard Roger ; Experimental Test of Bell’s Inequalities Using Time- Varying Analyzers, Physical Review Letters 49 (1982), 1804.
  9. Ces travaux constitueront le coeur de la thèse de doctorat d’Alain Aspect, intitulée « Trois tests expérimentaux des inégalités de Bell par mesure de corrélation de polarisation de photons » (thèse soutenue le 01 février 1983). Alain Aspect a reçu la médaille d’or du CNRS 2005.
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